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Lois électorales : Une perspective macroscopique

Introduction

Ce dossier « Regard sur » offre une vue d’ensemble sur les lois et les règles électorales qui existent dans le monde. Il se concentre sur neuf aspects : le cadre juridique, la gestion électorale, la délimitation des circonscriptions, l’inscription électorale, les partis et les candidats politiques, les médias, les opérations entourant le scrutin, le dépouillement des votes et l’éducation des électeurs. En employant une perspective globale comparative, les auteurs cherchent à identifier des pratiques juridiques communes ainsi que les causes sous-jacentes de ces pratiques.

Auteurs : André Blais et Agnieszka Dobrzynska

Le présent rapport examine les lois qui gouvernent la tenue d’élections dans le monde. Son but est de déterminer quelles règles sont les plus et les moins fréquentes, et de signaler certains facteurs qui semblent être liés à l’adoption ou la non-adoption de ces règles.

Les lois électorales sont importantes. Elles déterminent ce que les partis, les citoyens, les groupes et les médias ont le droit ou non de faire durant une campagne électorale (ou, parfois, même avant) et lors du jour des élections. Ces lois incitent aussi les acteurs à se comporter d’une certaine façon (« Establishing the Rules of the Game: Election Laws in Democracies », Massicotte, Blais and Yoshinaka 2004 ; « Making Votes Count », Cox 1997). Il est impossible de comprendre comment la démocratie électorale fonctionne sans connaître ou comprendre les règles du jeu.

Peu de gens remettraient en question l’idée selon laquelle la démocratie repose sur des élections libres. Il n’existe pas de tel consensus lorsque vient le temps d’expliquer ce que sont des « élections libres », et la question entourant les règles qui devraient être mises en application pour assurer le caractère « libre » d’une élection soulève encore bien plus de débats.  Il en est ainsi en grande partie parce qu’il existe de nombreuses conceptions de la démocratie, chacune d’entre elles implique que différentes sortes de législation devraient être adoptées (“Democracy and Elections”, Katz 1997).

Objectifs

Le premier objectif de cette étude est ainsi de documenter l’étonnante variété de lois électorales qui ont été adoptées dans le monde, tout en identifiant, lorsque approprié, les pratiques les plus populaires.

Le second objectif est d’explorer certains des facteurs qui semblent être associés à la présence ou à l’absence de différentes règles. Nous examinons quatre de ces facteurs : la région, le développement économique, le degré de démocratie et l’héritage colonial. Nous établissons que le niveau de présence ou d’absence d’une certaine règle électorale est lié à la région (le continent) à laquelle le pays appartient, à sa richesse relative, à la force de ses droits politiques et à son héritage colonial.

Nous espérons que cette étude contribuera à accroitre le savoir entourant les règles qui gouvernent la tenue d’élections dans le monde et qu’elle fournira des informations qui seront utiles aux organisations impliquées dans le processus d’évaluation du cadre juridique sous lequel la joute électorale se déroule dans un pays donné.

Méthodologie

Dans toutes nos analyses, la variable dépendante est la présence ou l’absence d’une loi donnée, et les variables indépendantes sont la région, le développement économique, le degré de démocratie et l’héritage culturel.

Notre univers consiste en 237 pays et territoires répertoriés sous l’onglet « Données comparatives », disponible sur le Réseau du savoir électoral ACE, lequel contient une collection systématique des modes de gestion électorale des pays. Ces données couvrent le domaine de gestion électorale et comprennent d’anciens modes de gestion électorale (européens et latino-américains), des plus récents (provenant de l’Europe de l’Est, du Pacifique, quelques-uns d’Afrique et du Moyen-Orient), et ceux qui ont été bâtis à partir de rien (comme en Afghanistan et en Irak). Les territoires sont aussi compris dans cette collection, bien que beaucoup d’information à leur sujet soit manquante. Nous offrons des informations sur les règles qui déterminent comment les élections sont tenues autant dans de petits territoires que dans les plus grands, dans les pauvres et les riches, les plus libres et les moins libres.

Nous avons choisi neuf aspects de la législation électorale qui semblaient intéressants et importants, et pour lesquels suffisamment d’information était disponible.

Les neuf facteurs sont les suivants :

1. Le cadre juridique

2. La gestion électorale

3. La délimitation des circonscriptions

4. L’inscription électorale

5. Les partis et les candidats politiques

6. Les médias

7. Les opérations entourant le scrutin

8. Le dépouillement des votes

9. L’éducation des électeurs

 

Nous commencerons par le cadre juridique, lequel définit les paramètres de la législation électorale. Ensuite, nous aborderons le sujet de l’organisme de gestion électorale, de la délimitation des circonscriptions, de l’inscription électorale, des règles entourant les partis, les candidats et les médias, les opérations entourant le scrutin et le dépouillement des votes. Nous terminerons avec la question de l’éducation des électeurs. Pour chaque thème, nous identifions trois ou quatre enjeux spécifiques et nous examinons les lois qui ont été adoptées pour faire face à ces enjeux.

Pour chaque dimension, nous commencerons par documenter la variété des lois électorales tout en identifiant les pratiques les plus populaires. Nous déterminerons ensuite si la propension à adopter ou à ne pas adopter une certaine loi dépend de la région, de la richesse nationale, du degré de démocratie du pays et de l’héritage colonial du pays.

Notre point de départ est la géographie. Nous avons retenu six régions comme décrites par le Réseau du savoir électoral ACE : l’Afrique, les Amériques, l’Asie, le Moyen-Orient, le Pacifique et l’Europe. Nous déterminons si certaines règles semblent plus populaires dans certaines régions que dans d’autres. Lorsque ces différences existent, et elles existent assez souvent, nous ne sommes pas en mesure d’expliquer pourquoi. Il est possible que ce soit en raison de différences culturelles, économiques ou politiques. Une analyse approfondie serait nécessaire pour déterminer la raison qui explique ces variations régionales.

 

Les différences régionales sont, en soi, intéressantes, et c’est pour cette raison que nous présentons systématiquement un portrait des constantes propres à différents continents. Comme mentionné plus haut, les raisons expliquant ces différences sont ambiguës. Ainsi, nous analyserons ces différences séparément des autres facteurs. Toutefois, dans la mesure où ces variations régionales ne semblent pas être liées aux facteurs économiques et politiques qui sont aussi pris en considération, nous sommes enclins à supposer qu’elles sont le reflet des réseaux culturels et/ou sociaux qui lient les élites politiques au sein d’une même région. Nous offrons ces conjectures, mais elles devraient être considérées avec prudence. Finalement, nous souhaitons souligner que les observations du Moyen-Orient (au nombre de 14 au maximum, mais souvent moins de 10 en raison des données manquantes) sont assez limitées et que les généralisations concernant cette région devraient être considérées avec beaucoup de prudence.

Après avoir examiné les variations géographiques, nous nous penchons sur le rôle potentiel de trois facteurs qui pourraient avoir une influence sur la nature des lois électorales : le niveau de développement économique, le degré de démocratie et l’héritage colonial.

Le premier facteur est l’économie. L’indicateur est le PIB par habitant ajusté selon la parité du pouvoir d’achat en dollars américains de 2002. Ces données transnationales proviennent du rapport The Quality of Governement Dataset (version 2008) par Jan Toerell, Sören Holmberg et Bo Rothstein. Nous avons des données pour 174 pays ; l’étendue est de 520 à 61 190, avec une moyenne de 9087 et un écart type de 9925. Depuis que Seymour Martin Lipset, un éminent spécialiste de la démocratie, a écrit en 1959 une œuvre d’avant-garde sur le développement économique et la légitimité politique (Economic Development and Political Legitimacy), une vaste littérature a établi que le développement économique est un fort antécédent à la démocratisation, et qu’il est donc « naturel » de vérifier si les lois électorales sont systématiquement différentes dans les pays riches et dans les pays pauvres.

Le second facteur est le degré de démocratie. Nous utilisons les scores de droits politiques attribués chaque année par la Freedom House. Ces scores s’étendent de 1 (le plus libre) à 7 (le moins libre). Nous utilisons la moyenne des scores émis entre 2001 et 2006. Ces scores ont été standardisés pour que le minimum corresponde à 0 pour les 13 pays ayant obtenu le pire score de 7 chaque année, et que le maximum corresponde à 1 pour les 55 pays qui ont obtenu le meilleur score de 1 chaque année. Les démocraties fortes constituent 29 % des cas pour lesquelles nous avons de l’information. Notre objectif est de déterminer si les démocraties tiennent leurs élections différemment des pays non démocratiques et autoritaires.

On peut se demander si c’est le degré de démocratie qui mène à l’adoption d’une loi électorale donnée ou l’inverse. On doit reconnaître que le rapport de causalité peut se faire dans les deux sens. D’un côté, un pays qui est devenu démocratique serait enclin à modifier ses lois électorales dans un sens. De l’autre côté, un pays qui a adopté un ensemble de règles serait plus à même d’être considéré comme « démocratique » par les experts internationaux qui donnent des scores de droits politiques. Bien qu’il soit possible que le lien de causalité se fasse dans les deux sens, nous croyons que le lien de causalité part du degré de démocratie vers l’adoption de lois spécifiques. Nous basons cette croyance sur la supposition que les experts évaluent l’étendue des droits politiques en regardant tout d’abord les indicateurs concrets de liberté d’expression et le degré observé de compétitions plutôt que les textes de loi.

Le troisième facteur à considérer est l’héritage colonial. Nous distinguons les anciennes colonies françaises (27 pays), espagnoles (19 pays) et britanniques (66 pays). Dans leur analyse des lois électorales de 63 démocraties contemporaines (« Establishing the Rules of the Game: Election Laws in Democracies » 2004), Massicotte, Blais et Yoshinaka ont trouvé que les anciennes colonies avaient tendance à adopter les mêmes règles électorales que leur ancienne métropole, et nous souhaitons déterminer si cette tendance est partagée de façon générale.

En raison de la nature exploratoire de cette recherche, les analyses statistiques ont été maintenues aussi simples que possible. Nous avons dichotomisé les variables dépendantes pour ainsi simplement distinguer les pays qui ont adopté une règle donnée de ceux qui ne l’ont pas adoptée. Pour chaque règle, nous offrons deux renseignements. Premièrement, nous montrons la corrélation bivariée entre les régions et l’existence ou l’absence d’une règle. Ensuite, à l’aide d’un tableau récapitulatif, nous indiquons si la présence ou l’absence d’une règle est reliée ou pas au niveau de développement économique, au degré de démocratie et à l’héritage colonial. Nous avons réalisé des analyses multivariées qui incluaient ces trois facteurs et les tableaux récapitulatifs indiquent s’il existe une corrélation statistiquement significative.

Nous devons mentionner dès le départ que les corrélations entre nos variables indépendantes sont généralement modestes. La plus forte corrélation (. 66) reflète le fait qu’une grande majorité des anciennes colonies espagnoles sont situées sur le continent américain et que, par conséquent, il est parfois difficile de distinguer les effets de ces deux facteurs. Toutes les autres corrélations se situent sous. 5, sauf celle entre l’Europe et le PIB par habitant, qui est d’exactement. 50.

Les résultats dont fait état ce rapport et les interprétations que nous en faisons sont nécessairement provisoires. Nous sommes conscients du fait que certaines informations sont incomplètes et, dans certains cas (que nous espérons rares), même erronées, compte tenu de la date à laquelle les données ont été validées pour la dernière fois (les données de certains pays n’ont été validées qu’en 2001, alors que celles d’autres pays ont été validées plus récemment). Nous examinons un nombre limité de facteurs qui pourraient « expliquer » pourquoi certaines règles ont été adoptées dans certains pays et pas dans d’autres, et nous testons des modèles de base. Nous ne prétendons pas que les résultats de nos recherches soient exacts dans tous les cas, et nous espérons que ces recherches encourageront la réalisation d’analyses plus nombreuses et plus élaborées.

Malgré toutes ces contraintes, nous croyons qu’il est intéressant de comprendre les différentes lois électorales qui prévalent dans le monde, de faire le point sur l’incroyable variété qui existe, et de relever les facteurs qui semblent être liés à ces variations.

Cadre juridique

Dans cette section, nous examinons le vaste cadre juridique qui régit les lois électorales.

Le premier enjeu est celui de l’inscription des lois électorales dans la constitution. L’argument pour que les lois électorales soient inscrites dans la constitution est qu’on leur donne un statut supérieur puisqu’elles deviennent un symbole du contrat qui lie les membres de la communauté entre eux et avec leurs représentants. En contrepartie, en n’inscrivant pas les lois électorales dans la constitution, on acquiert une plus grande flexibilité : il est plus facile de modifier des lois que la constitution. Il s’avère que la plupart du temps, c’est-à-dire 60 % des pays pour lesquelles des données sont disponibles, toutes ou une partie de leurs lois électorales sont inscrites dans la constitution.

D’importantes variations régionales existent : les lois électorales sont inscrites à la constitution de 80 % des pays d’Europe et du Pacifique, mais c’est le cas d’une minorité de pays d’Amérique et du Moyen-Orient. La propension d’inscrire les lois électorales à la constitution n’est pas liée au degré de démocratie ni au niveau de développement. Nous observons toutefois que les anciennes colonies françaises et espagnoles ont moins tendance à inscrire les lois électorales dans la constitution.

La deuxième question est à savoir si la loi électorale nationale ne couvre que les élections nationales (et les référendums) ou si elle s’applique aussi aux élections régionales et locales. Dans deux pays sur trois (65 %), la loi électorale a une plus vaste portée et ne se limite pas aux élections nationales. C’est surtout le cas en Afrique, le continent le plus « centralisé ». Par contre, la majorité des pays du Moyen-Orient et du Pacifique sont dotés de lois électorales qui s’appliquent exclusivement au niveau central. Le seul facteur (autre que la région) qui semble être corrélé au degré de centralisation est l’héritage colonial : les anciennes colonies britanniques ont tendance à avoir une législation plus décentralisée.

Le troisième aspect à considérer est si la participation aux élections nationales est volontaire ou obligatoire. Le vote est obligatoire dans 25 pays, ce qui représente 12 % des pays du monde. La région où le vote obligatoire est le plus populaire est définitivement celle des Amériques, où un quart des pays (26 %) a adopté une législation de la sorte. C’est tout le contraire en Afrique, où les gouvernements sont les plus réticents à forcer leurs électeurs à voter (seuls deux pays, la République centrafricaine et le Rwanda, obligent leurs électeurs à voter). La propension à adopter le vote obligatoire ne semble liée à aucune caractéristique claire, mis à part le fait d’être une ancienne colonie espagnole, ce qui bien évidemment est fortement corrélé à la région des Amériques.

Le dernier enjeu concerne l’interprétation de la loi électorale. Ici, nous cherchons à savoir si les cours de droit commun sont entièrement responsables des contentieux électoraux ou si l’organisme de gestion électoral ou un tribunal électoral spécial peuvent aussi être impliqués. Deux tiers des pays (69 %) ont trouvé utile de donner une certaine autorité aux organismes spécialisés ou à des tribunaux. Dans ce cas, les variations régionales ont tendance à être amoindries. Nous observons toutefois que les anciennes colonies françaises et britanniques sont plus enclines à accorder du pouvoir à des tribunaux ou à des tribunaux quasi judiciaires spéciaux. Les anciennes colonies françaises semblent perpétuer la pratique établie par la « mère patrie », mais on ne peut pas utiliser la même explication pour les anciennes colonies britanniques, qui n’ont pas de tribunaux spéciaux.

Dans cette section, nous avons noté que :

  • Selon une tendance dominante, la loi électorale est inscrite à la constitution, elle s’applique aussi aux élections locales ou régionales, elle est interprétée au premier niveau par des cours spécialisées, et le vote se fait sur une base volontaire.
  • Sauf dans le dernier cas, toutefois, ces tendances sont assez légères, et de nombreux pays fonctionnent de façon différente.
  • Les choix concernant la portée du cadre juridique ne sont pas liés au degré de démocratie ou au niveau de développement économique.
  • Le seul facteur qui semble avoir une influence est l’héritage colonial.

https://aceproject.org/ace-en/focus/focus-on-electoral-laws-a-macroscopic-perspective/Legalfrmeworktable.GIF

L’influence du degré de démocratie, de l’héritage colonial et du développement économique sur le cadre juridique

CADRE JURIDIQUE

Degré de démocratie

Ancienne colonie française

Ancienne colonie britannique

Ancienne colonie espagnole

Développement économique

Inscrit à la constitution

-

peu probable

-

peu probable

-

Grande portée sur les élections

-

peu probable

-

-

Vote obligatoire

-

-

-

plus probable

-

Organes spéciaux responsables des contentieux électoraux

-

plus probable

plus probable

-

-

 

Gestion électorale

Nous débuterons par l’autonomie financière des organismes de gestion électorale en cherchant à savoir plus particulièrement si le corps législatif prévoit son budget et/ou si elle contrôle ses dépenses. On pourrait défendre que les organismes de gestion électorale ont besoin d’être indépendants financièrement du corps législatif afin de demeurer complètement indépendants des partis et du gouvernement.

En fait, dans deux pays sur trois (69 %), le corps législatif décide par vote le budget à allouer à ces organismes, toutefois, les dépenses ne sont surveillées que dans un tiers des pays (34 %) dans le monde. Ainsi, il existe une plus grande autonomie du côté opérationnel qu’à l’étape organisationnelle. Contre toute attente, c’est en Europe que l’autonomie financière est la plus faible : le budget des organismes de gestion électorale est décidé par le corps législatif dans 36 (84 %) des 43 pays d’Europe pour lesquels de l’information était disponible, et les dépenses étaient contrôlées par le corps législatif dans 20 pays (54 %). Il n’y a qu’un faible rapport entre le niveau de démocratie et le degré d’autonomie financière, et celui-ci ne s’applique que dans le cas du contrôle des dépenses. De nombreux pays démocratiques ne trouvent pas nécessaire d’accorder une indépendance complète aux organismes électoraux. En même temps, les corps législatifs des anciennes colonies françaises et britanniques sont moins enclins à surveiller les revenus et les dépenses des organismes de gestion électorale. Il peut exister une tension entre deux principes « démocratiques ». D’un côté, toutes les organisations publiques devraient être surveillées par les représentants du peuple. De l’autre, les politiciens ne devraient avoir aucune influence sur l’organisation de laquelle leur avenir dépend.

Un deuxième enjeu concerne la durée du mandat des membres de l’organisme de gestion électorale. Dans la plupart des cas (51 %), les membres sont nommés pour un mandat à durée déterminée, parfois (25 %), la durée est indéterminée, et dans 26 pays (14 %), le mandat ne dure que le temps d’une élection. 20 autres cas (11 %) sont classifiés sous la catégorie « autres », c’est-à-dire que le mandat dure jusqu’à la retraite, qu’il s’agit d’une permanence, qu’une durée minimale est déterminée, ou que l’information n’est pas suffisamment détaillée.

Nous sommes particulièrement intéressés par ces 26 pays où les membres des OGE sont nommés seulement pour la durée d’une élection. Dans ce cas, les membres pourraient se sentir obligés de plaire à l’éventuel gagnant afin d’être nommés pour l’élection suivante. Il se peut que les membres de ces organismes ne se sentent pas complètement indépendants. En effet, les deux régions où ces règles existent sont précisément celles où la démocratie est plus faible, c’est-à-dire en Afrique et au Moyen-Orient. Et, comme on peut s’y attendre, on y trouve une forte corrélation négative entre le degré de démocratie et la présence d’organismes au sein desquels les membres sont nommés pour la durée d’une seule élection. On trouve aussi une corrélation positive avec les anciennes colonies françaises.

Une dernière question est de savoir si l’organisme électoral national est chargé de toutes les élections qui ont lieu sur le territoire. C’est le cas dans la majorité des cas. Il n’y a que 41 pays (23 %) où l’organisme national s’occupe seulement des élections nationales et laisse à d’autres institutions le soin d’administrer les élections régionales et provinciales. Une telle spécialisation est particulièrement rare en Afrique et plus généralement dans les pays plus pauvres. Elle est aussi plus populaire dans les pays des anciennes colonies britanniques, et elle n’est ni plus ni moins fréquente dans les pays démocratiques.

Il est frappant de constater que :

  • De nombreuses démocraties se montrent peu préoccupées de l’autonomie financière de ces organismes, comme le montre l’absence de corrélation entre le degré de démocratie et un corps législatif qui ne supervise pas le budget de l’organisme électoral.
  • Les pays démocratiques évitent généralement de confier de très courts mandats aux membres de ces organismes. Le Royaume-Uni aurait montré l’exemple : les organismes électoraux semblent profiter d’une plus grande indépendance dans les anciennes colonies britanniques.

 

L’influence du degré de démocratie, de l’héritage colonial et du développement économique sur les règles de gestion

GESTION ÉLECTORALE

Degré de démocratie

Ancienne colonie française

Ancienne colonie britannique

Ancienne colonie espagnole

Développement économique

Le budget est déterminé par le corps législatif

-

peu probable

peu probable

-

-

Les dépenses sont contrôlées par le corps législatif

peu probable dans des pays plus démocratiques

peu probable

peu probable

-

-

Les membres sont nommés pour la durée d’une seule élection

peu probable dans des pays plus démocratiques

plus probable

-

-

-

L’organisme électoral n’est responsable que des élections nationales

-

-

plus probable

-

Plus probable dans des pays plus riches

 

Délimitation des circonscriptions

Dans la plupart des pays, les élections sont surtout contestées dans les circonscriptions. Comment et par qui ces circonscriptions sont délimitées est un problème épineux. Nous nous penchons sur trois questions spécifiquement liées à la délimitation des circonscriptions.

Premièrement, il faut se demander si les circonscriptions sont conçues spécialement pour les élections ou si on utilise des délimitations régionales/provinciales/administratives préexistantes. Il semble que le premier cas représente la majorité des situations : seuls 28 % des pays utiliseraient des régions existantes pour délimiter des zones électorales. Les variations géographiques sont rares et les pays plus démocratiques ne semblent pas être plus ou moins enclins à utiliser les délimitations préexistantes. Une fois de plus, l’héritage colonial aurait son importance. Les anciennes colonies britanniques semblent délimiter des circonscriptions électorales, alors que les anciennes colonies françaises ont tendance à utiliser les délimitations existantes.

La seconde question concerne les critères de délimitation des frontières électorales. Une foule de critères sont utilisés, tels respecter les frontières naturelles ou les communautés culturelles, la concentration des circonscriptions, la conformité aux juridictions locales ainsi que l’égalité de la population. Nous nous concentrons ici sur l’importance rattachée à l’égalité. Pour 25 (18 %) des 131 pays sur lesquels nous avons de l’information, l’égalité au sein de la population semble être l’unique considération. Ces pays sont répartis partout sur tous les continents et ne laissent voir aucune tendance cohérente. Nous avons donc peu à dire sur les facteurs qui pourraient mener les législateurs à mettre l’accent ou non sur l’égalité de la population comme principe directeur.

Le dernier point est de savoir si un organisme neutre et indépendant est responsable de la délimitation des circonscriptions. Il semblerait que ce soit une condition nécessaire pour empêcher les partis, surtout les partis au pouvoir, de concevoir une carte électorale qui soit à leur avantage.

Nous avons trouvé que dans seulement 47 % des pays sur lesquels nous avons de l’information il existe une autorité indépendante responsable de délimiter les circonscriptions. Paradoxalement, la présence d’autorités indépendantes est particulièrement rare sur le continent où la démocratie est le plus fortement ancrée, c’est-à-dire en Europe. Il est frappant de constater qu’il n’existe aucun lien entre le degré de démocratie et la présence d’organismes indépendants chargés de délimiter les zones électorales. Finalement, les anciennes colonies britanniques sont plus enclines à mettre sur pied des organismes indépendants.

Cette section nous permet de conclure que :

  • Il y a peu de tendances claires en ce qui concerne la délimitation des circonscriptions.
  • Le résultat le plus révélateur est peut-être que les pays plus ou moins démocratiques ne divergent pas du tout sur ces questions.
  • La seule tendance révélatrice que nous ayons observée est que les anciennes colonies britanniques sont plus enclines à charger des organismes dépendants de la délimitation de zones spécifiquement électorales.

 boundary delimitation graph

L’influence du degré de démocratie, de l’héritage colonial et du développement économique sur la délimitation de circonscriptions

 

DÉLIMITATION DE CIRCONSCRIPTIONS

Degré de démocratie

Ancienne colonie française

Ancienne colonie britannique

Ancienne colonie espagnole

Développement économique

Délimitation de zones spécifiques

-

peu probable

plus probable

-

-

Critère de l’égalité de la population

-

-

-

-

-

Organisme indépendant responsable de la délimitation des circonscriptions

-

-

Plus probable

-

-

 

Inscription des électeurs

Dans presque tous les cas, un(e) citoyen(ne) qui souhaite voter doit premièrement s’assurer qu’il/elle est inscrit (e) à la liste électorale. Mais que faut-il faire pour être inscrit ?

Le critère d’admissibilité le plus fréquent est celui de l’âge. La grande majorité (86 %) des pays ont choisi l’âge de 18 ans comme le minimum requis pour voter. Cinq pays (3 %) ont même choisi 16 ans comme l’âge minimum pour voter (l’Autriche, le Brésil, Cuba, le Nicaragua et la Somalie), et quatre pays (2 %) ont choisi 17 ans (l’Indonésie, la Corée du Nord, le Soudan et le Timor de l’Est). Le cas qui nous intéresse est celui des pays qui ont choisi une limite plus élevée, 20 ans (8 pays ou 4 % : le Cameroun, le Japon, le Liechtenstein, Nauru, le Maroc, la Corée du Sud, Taiwan et la Tunisie) ou 21 ans (11 pays ou 6 % : le Bahreïn, Fiji, le Gabon, le Koweït, le Liban, la Malaisie, les Maldives, le Pakistan, Samoa, Singapour et Tonga). Ce sont les pays qui ont résisté à la tendance vers la diminution de l’âge minimum pour voter.

Il existe des variations régionales frappantes en ce qui concerne l’âge électoral. Presque tous les pays d’Afrique, d’Amérique et d’Europe exigent l’âge de 18 ans ou moins pour voter (par souci de simplicité, nous avons combiné ces deux catégories dans notre analyse, bien qu’il faille noter que l’on s’entende très généralement pour dire que l’âge électoral devrait être de 18 ans et pas moins). Par opposition, les exceptions sont plus fréquentes en Asie (7 pays sur 27 ont établi l’âge électoral à 20 ou à 21 ans) et au Moyen-Orient (c’est le cas de trois pays sur neuf). Les anciennes colonies françaises et britanniques ainsi que les pays les plus riches et les moins démocratiques ont plus tendance à faire partie des exceptions moins « libérales ».

Les autres exigences qu’il faut souvent remplir pour être inscrit à la liste électorale sont la citoyenneté (ou la naturalisation), la citoyenneté des parents ou la résidence. Nous nous concentrons ici sur les cas où la citoyenneté (ou la naturalisation) est l’unique exigence. Ces pays représentent près de la moitié de tous les cas (44 %). Cette pratique est répandue en Europe (77 % des cas), mais est assez rare sur le continent américain, au Moyen-Orient et dans le Pacifique, ainsi que parmi les anciennes colonies françaises, espagnoles et britanniques. Cette tendance laisse croire que la culture et l’histoire inhérente à cette région jouent un rôle important dans la définition de ce qui est jugé nécessaire (mis à part l’âge) afin d’avoir le droit de vote.

Il y a ensuite la question à savoir qui est responsable de l’inscription des électeurs. La solution logique pourrait être de donner cette tâche à l’organisme de gestion électorale. C’est en effet l’option la plus populaire, choisie par 57 % des pays (la deuxième option la plus populaire est de donner la tâche aux autorités locales, et la troisième option est de la donner à un ministère du gouvernement central). Il existe une grande exception : en Europe, seulement 18 % des pays ont choisi de donner cette responsabilité à l’organisme de gestion électorale. De plus, l’approche faisant appel à un comité électoral est plus souvent utilisée dans des pays plus démocratiques, mais plus pauvres, ainsi que par d’anciennes colonies espagnoles et britanniques. Les raisons qui expliquent ces tendances ne sont pas complètement claires, mais ces résultats suggèrent que ces questions d’ordre technique sont gérées de façons assez différentes dans diverses régions et cultures.

La dernière question à prendre en considération est si l’inscription est volontaire ou obligatoire. Elle est obligatoire dans deux tiers (64 %) des pays. Les variations régionales ne sont pas aussi grandes dans ce cas-ci, mais il demeure quelques différences importantes. Moins de la moitié des pays africains et très peu des anciennes colonies britanniques fonctionnent à l’aide de l’inscription obligatoire, mais plus de quatre cinquièmes (84 %) des pays européens obligent leurs citoyens à s’inscrire.

Les règles d’inscription des électeurs diffèrent énormément d’un pays à l’autre, et par conséquent il n’y a pas de tendance dominante :

  • Sauf l’âge électoral de 18 ans.
  • C’est peut-être dans ce domaine que l’on observe les plus grandes et les plus intrigantes variations régionales et culturelles.

« L’inscription est obligatoire dans 24 % des pays pris en compte dans cette étude. »

« La culture et l’histoire inhérente jouent un rôle important dans la définition de ce qui est jugé nécessaire (mis à part l’âge) afin d’avoir le droit de vote.

 

 https://aceproject.org/ace-en/focus/focus-on-electoral-laws-a-macroscopic-perspective/Voterregistrationgraph.GIF

INSCRIPTION DES ÉLECTEURS

Degré de démocratie

Ancienne colonie française

Ancienne colonie britannique

Ancienne colonie espagnole

Développement économique

Âge électoral de 18 ans et moins

plus probable dans des pays plus démocratiques

peu probable

peu probable

-

peu probable dans les pays plus riches

Citoyenneté ou naturalisation exigée

-

peu probable

peu probable

peu probable

-

OGE charge du processus d’inscription

plus probable dans des pays plus démocratiques

-

plus probable

plus probable

peu probable dans les pays plus riches

Inscription obligatoire

-

-

peu probable

-

-

 

Partis et candidats

Un ensemble important de mesures qui font partie de la législation électorale vise directement les partis et les candidats.

La première question est de savoir ce que doivent faire les partis qui se présentent aux élections nationales pour être officiellement inscrits. Dans 40 % des pays, l’une des exigences est une caution. Cette pratique ne varie pas vraiment d’un continent à l’autre, et n’est pas liée au degré de démocratie ni au développement économique. La mesure est un peu plus populaire dans les anciennes colonies françaises.

Un deuxième aspect à considérer est celui des exigences légales nécessaires pour devenir un candidat aux élections législatives. Dans 40 % des cas, il existe une exigence liée à la résidence, et une éducation minimale est imposée dans 17 % des pays. On trouve plus souvent des exigences liées à la résidence sur le continent américain, tandis que les tests de littératie existent surtout en Afrique et au Moyen-Orient, et plus généralement dans les anciennes colonies britanniques. Les pays plus démocratiques ont moins tendance à écarter des candidats sur la base de leur « compétence », ce qui est peut-être un signe que le credo démocratique rejette refuse ouvertement de rejeter des gens en raison de leurs caractéristiques sociodémographiques.

Un troisième ensemble d’enjeux concerne l’admissibilité des partis à recevoir du financement public (direct ou indirect) ou privé. La tendance dominante est clairement de permettre les deux : le financement public est permis dans 74 % des pays et les dons privés sont légaux dans 85 % d’entre eux. Le financement public est presque universel en Europe (à la seule exception de la Biélorussie), mais reste assez rare au Moyen-Orient et dans le Pacifique. L’interdiction de financement privé semble être présente presque exclusivement dans les pays moins démocratiques, tandis que le financement public a tendance à être rare dans les anciennes colonies britanniques.

Finalement, nous avons cherché à savoir si les candidats indépendants ont le droit de participer aux élections législatives. La réponse est « Oui » dans 80 % des pays. Il s’agit de la tendance dominante dans toutes les régions du monde, et de très rares exceptions existent dans d’anciennes colonies britanniques (la Guyane, Israël, le Kenya, la Namibie, le Nigeria et l’Afrique du Sud).

Il semble qu’un certain nombre de normes qui concernent la régulation des partis et des candidats soient respectées dans la majorité des pays :

  • Selon l’une d’entre elles, il ne devrait y avoir aucune exigence en matière d’éducation ou de littératie pour être candidat, et cette norme est particulièrement forte dans les pays plus démocratiques.
  • Une deuxième norme fait en sorte que les candidats indépendants devraient avoir le droit de se présenter aux élections, et cette norme est particulièrement forte dans les anciennes colonies britanniques.
  • La troisième norme est que le financement public et privé est permis. En ce qui concerne le financement privé, cette norme est surtout forte dans les pays plus démocratiques, alors qu’en ce qui concerne le financement privé, la norme est plus faible dans les anciennes colonies britanniques.

Dans 80 % des pays, les candidats indépendants ont le droit de se présenter aux élections législatives.

 https://aceproject.org/ace-en/focus/focus-on-electoral-laws-a-macroscopic-perspective/Partiesandcandidatesgraph1.GIF

 

https://aceproject.org/ace-en/focus/focus-on-electoral-laws-a-macroscopic-perspective/Partiesandcandidatesgraph2.GIF

L’influence du degré de démocratie, de l’héritage colonial et du développement économique sur les règles imposées aux partis et aux candidats

PARTIS ET CANDIDATS

Degré de démocratie

Ancienne colonie française

Ancienne colonie britannique

Ancienne colonie espagnole

Développement économique

Caution exigée

-

plus probable

-

-

-

Exigence liée à la résidence

-

-

-

-

-

Exigence liée à l’éducation et au niveau de littératie

peu probable dans les pays plus démocratiques

-

plus probable

-

-

Financement public

-

-

peu probable

-

-

Financement privé

plus probable dans les pays démocratiques

-

-

-

-

Candidats indépendants autorisés

-

-

plus probable

-

-

 

 

Médias et Élections

Dans cette section, nous examinons quatre aspects de la loi électorale qui concernent le rôle des médias dans les élections.

La première dimension concerne les conditions de distribution du temps d’antenne et/ou d’espaces publicitaires gratuits à des partis politiques. De nombreux critères sont utilisés, tels le nombre de candidats qui se présentent aux élections, les résultats des élections précédentes et la taille du caucus législatif. Dans quelques cas, un comité spécial est responsable de cette tâche, mais l’approche la plus commune, utilisée par 64 pays ou 55 % des cas sur lesquels nous avons de l’information, est de donner à chaque parti un temps égal.

Les variations régionales sont minimes en ce qui concerne la propension à choisir ce principe d’égalité. Fait intéressant, la clause d’égalité n’est pas plus populaire dans les pays démocratiques. Elle est toutefois un peu plus rare dans les anciennes colonies françaises et britanniques.

Le deuxième aspect est lié aux publicités payées. Dans seulement 24 (18 %) des 133 pays sur lesquels nous avons de l’information (il faut garder en tête que dans de nombreux pays, les publicités payées ne sont pas permises), il existe une limite sur la publicité. Il n’y a qu’en Amérique que ces limites sont largement instaurées : elles existent dans la moitié des cas. Aucune des anciennes colonies britanniques n’a de limite spécifique sur la publicité (il faut noter qu’il peut y avoir des limites sur les dépenses totales, ce qui influence indirectement le montant d’argent qui peut être alloué à la publicité). Encore une fois, il n’existe pas de corrélation entre l’imposition de limites à la publicité et le degré de démocratie. Finalement, les limites sur la publicité sont plus fréquemment utilisées dans les anciennes colonies espagnoles.

La seule région où des limites sur la publicité payée sont fréquemment utilisées est le continent américain.

Le troisième aspect concerne la présence ou l’absence de débats télévisés durant des élections législatives. Parmi les 131 cas pour lesquels nous avons de l’information, 55 % d’entre eux organisent de tels débats (il faut noter que dans 18 pays, les débats télévisés ne sont organisés que lors d’élections présidentielles). Il s’agit clairement d’une norme en Europe, où quatre cinquièmes (80 %) des pays en organisent, et ils sont particulièrement rares sur le continent américain (seuls quatre pays sur seize en organisent, nommément le Canada, la Guinée française, la Guadeloupe et la Martinique ; notons toutefois que dans de nombreux cas, des débats sont organisés lors d’élections présidentielles). Nous remarquons que des débats sont plus souvent organisés dans des pays qui ont des scores plus élevés sur l’échelle de la Freedom House Political Rights.

Le dernier aspect à examiner est celui de la présence ou de l’absence d’une période de silence médiatique durant laquelle les résultats des sondages préélectoraux ne sont pas diffusés. De telles périodes de silences sont pratique courante dans 58 (45 %) des 130 pays pour lesquels nous avons de l’information à ce sujet. Dans 30 cas (23 %), il s’agit d’une courte période de trois jours ou moins. Dans 17 pays (13 %), ce silence dure plus d’une semaine. Les périodes de silence médiatique sont plus fréquentes en Europe et sur le continent américain, et plus rares en Afrique et au Moyen-Orient. Les anciennes colonies britanniques et françaises semblent plus réticentes à implanter de telles législations ; parallèlement, les pays plus démocratiques ne semblent pas plus enclins à instaurer des périodes de silence médiatique.

En ce qui a trait à la régulation des médias durant les campagnes électorales, il semble n’y avoir aucune norme claire au sujet de ce qui devrait et de ce qui ne devrait pas être fait.

  • Dans le cas des mesures spécifiques que nous avons examinées ici, du moins, les pays semblent divisés de façon égale entre ceux qui adoptent de telles législations et ceux qui n’en adoptent pas.
  • La seule exception est plus apparente que réelle. Seule une minorité de pays impose explicitement un plafond sur les dépenses publicitaires, mais cela s’explique par le fait que certains d’entre eux interdissent simplement la publicité, alors que d’autres régulent les dépenses totales plutôt que de réguler les dépenses allouées à la publicité.
  • Non seulement nous dénombrons une grande variété d’approches, mais il est rarement le cas que les pays plus démocratiques prennent une orientation particulière. Trois des aspects analysés sur quatre ne montrent aucune corrélation entre le degré de démocratie et la propension à réguler l’usage des médias durant les campagnes électorales.
  • La seule exception, et il s’agit manifestement d’un cas pour lequel aucune législation n’est nécessaire, concerne les débats télévisés, qui sont plus souvent organisés dans les pays plus démocratiques.
  • Nous avons observé certaines variations régionales dans l’usage de ces quatre mesures, mais elles ne se sont pas avérées immenses. La variable de la région semble moins importante que celle de l’héritage colonial. Les anciennes colonies françaises et britanniques se révèlent systématiquement moins enclines à réguler les médias que d’autres pays.

 https://aceproject.org/ace-en/focus/focus-on-electoral-laws-a-macroscopic-perspective/Mediaandelectionsgraph.GIF

 

L’influence du degré de démocratie, de l’héritage colonial et du développement économique sur les règles relatives aux médias durant les élections.

 

MÉDIAS ET ÉLECTIONS

Degré de démocratie

Ancienne colonie française

Ancienne colonie britannique

Ancienne colonie espagnole

Développement économique

Temps de diffusion égaux

-

peu probable

peu probable

-

-

Limites sur les publicités payées

-

-

-

plus probable

-

Débats télévisés

plus probable dans les pays plus démocratiques

-

-

-

-

Période de silence médiatique

-

peu probable

peu probable

-

-

 

 

Opérations de vote

Nous nous sommes penchés sur les règles qui régissent l’inscription électorale. Il existe aussi des règles qui déterminent comment les électeurs inscrits peuvent voter. Nous nous concentrons sur deux aspects spécifiques : il sera d’abord question du lieu de vote, puis de la question à savoir si les électeurs qui vivent à l’extérieur du pays ont le droit de voter, et si oui, comment ils doivent s’y prendre.

La première question est à savoir où (et comment) les gens votent. L’option la plus courante est de voter à un centre de vote situé dans la localité où l’électeur est inscrit, mais dans de nombreux pays, il est aussi possible de voter dans d’autres centres de vote, par la poste, par téléphone ou par procuration. Nous distinguons simplement les pays où il est possible de voter qu’à un centre de vote situé dans la localité de l’électeur de ceux qui offrent d’autres options. Il s’avère qu’il y a un équilibre parfait entre les deux groupes. D’importantes variations régionales existent, mais la logique sous-jacente n’est pas claire. Se limiter à des centres de vote locaux est plus fréquent au Moyen-Orient et dans les Amériques, alors qu’offrir d’autres options est plus fréquent dans le Pacifique, en Europe et en Asie. Contrairement à toute attente, les pays plus développés économiquement et plus démocratiques ne sont pas plus enclins à offrir d’autres options de vote. Finalement, les anciennes colonies espagnoles ont davantage tendance à se limiter aux centres de vote.

 La deuxième considération est de savoir si les gens peuvent voter de l’étranger. Dans un tiers des cas (37 %), voter de l’étranger n’est pas permis. C’est le cas d’une majorité de pays des Amériques. À l’autre extrémité, nous avons trouvé que le trois quarts des pays européens (78 %) et africains (73 %) permettent clairement à certaines personnes de voter de l’étranger, sous certaines conditions. Ici aussi, il n’existe aucune corrélation entre le fait d’être plus « progressiste » à ce sujet et le degré de démocratie et/ou le développement économique. La seule tendance que l’on observe est que les anciennes colonies britanniques ont tendance à être plus « conservatrices » et à ne pas permettre le vote à partir de l’extérieur du pays.

Lorsque le vote à partir de l’étranger est permis, il est généralement rendu disponible aux citoyens qui résident à l’extérieur du pays. Cette mesure prévaut dans presque la moitié des pays (47 %). Les variations régionales sont somme toute modérées et la seule tendance importante est que les anciennes colonies britanniques sont moins enclines à adopter ce genre de règles.

Finalement, voter à l’étranger, lorsque permis, peut être plus ou moins simple. Dans une petite majorité des cas (56 %), le scrutin a lieu exclusivement aux ambassades, dans les consulats ou à des centres de vote spéciaux. Dans d’autres pays, il est aussi possible de voter par la poste ou par procuration. Les régions les plus « progressistes » sont le Pacifique et l’Europe, alors que la plus « conservatrice » est l’Afrique. Les pays les plus progressistes sont les plus démocratiques et les plus riches, tandis que les anciennes colonies britanniques ont tendance à être plus « conservatrices ».

Tout comme c’est le cas pour de nombreux autres aspects, on retrouve une impressionnante variété d’opérations de vote sur la planète. Il n’existe pas vraiment d’approche dominante, et dans la plupart des cas, il n’y a pas de clivage important entre les pays plus démocratiques et ceux moins démocratiques.

  • On trouve un équilibre parfait entre les pays où les gens doivent voter à leur centre de scrutin local et ceux où plus d’options sont disponibles. Voter de l’étranger est possible dans la majorité des pays (bien que cela soit impossible dans une minorité importante des cas), mais le processus est souvent compliqué.
  • Comme c’est le cas pour d’autres dimensions, les variations régionales pour cet aspect sont importantes sans être immenses.
  • Les anciennes colonies britanniques semblent être particulièrement « conservatrices », l’idée selon laquelle l’endroit où l’on vote se limite aux centres de scrutin s’imposerait davantage dans ces pays.

 

 https://aceproject.org/ace-en/focus/focus-on-electoral-laws-a-macroscopic-perspective/votingoperationsgraph.GIF

 

L’influence du degré de démocratie, de l’héritage colonial et du développement économique sur les opérations de vote.

OPÉRATIONS DE VOTE

Degré de démocratie

Ancienne colonie française

Ancienne colonie britannique

Ancienne colonie espagnole

Développement économique

Le vote n’a lieu qu’à un centre de vote désigné pour la localité de l’électeur

-

-

-

plus probable

-

Le vote à l’extérieur du pays est autorisé

-

-

plus probable

-

-

Le vote à l’extérieur du pays est disponible pour les citoyens qui résident à l’étranger

-

-

peu probable

-

-

Le vote à l’extérieur du pays a lieu dans les ambassades ou dans des centres de scrutin spéciaux seulement

peu probable dans des pays plus démocratiques

-

peu probable

-

peu probable dans les pays plus riches

 

 

Dépouillement des votes

 

L’avant-dernier aspect de la loi électorale sur lequel nous nous penchons est le dépouillement des votes. Deux questions sont posées. Premièrement, où compte-t-on les votes ? Ensuite, selon quelles conditions est-ce que les votes sont recomptés ?

La première question est de savoir si les votes sont d’abord triés et comptés au centre de vote local ou à un bureau plus central. L’avantage de la première option est que le décomptage est effectué beaucoup plus rapidement et qu’il y a moins de risques que « quelque chose » arrive entre le centre de vote et l’endroit où les votes sont dépouillés. Le contre-argument est qu’il peut être plus facile d’assurer un dépouillement juste lorsque le processus est plus centralisé, puisqu’il est plus facile pour les parties et les observateurs électoraux d’en témoigner. Presque 80 % des pays ont choisi d’avoir un premier décomptage dans les centres de vote. C’est une tendance majoritaire dans toutes les régions, bien qu’ils y aient plus d’exceptions au Moyen-Orient et dans le Pacifique. Aucune corrélation ne se fait avec le niveau de développement économique ni le degré de démocratie. Les anciennes colonies britanniques ont tendance à suivre l’exemple du Royaume-Uni et d’opter pour un dépouillement centralisé.

La seconde question est celle du recomptage. Il y a trois approches au recomptage. Dans certains pays (11 pays ou 7 %), les votes ne sont jamais recomptés. Dans d’autres (14 pays ou 8 %), ils sont toujours recomptés, et dans la grande majorité des cas, ils sont recomptés selon certaines conditions, sur demande ou par ordonnance de la cour. Les pays qui n’ont pas de recomptage (l’Angola, le Costa Rica, la Croatie, Israël, le Liban, le Mali, le Niger, le Panama, le Paraguay, la Roumanie et le Vénézuéla) sont clairement des exceptions, mais ils n’ont pas tendance à être moins démocratiques dans l’ensemble que ceux qui pratiquent le recomptage.

Certaines pratiques en matière de recomptage de vote dominent clairement :

  • Dans la grande majorité des cas, le dépouillement initial a lieu dans au centre de vote local, et le recomptage peut être fait sous certaines conditions.
  • Des exceptions à ces pratiques dominantes sont plus probables dans les anciennes colonies britanniques, où le dépouillement initial se fait souvent à l’extérieur des centres de vote.
  • Les recomptages automatiques sont rares, mais on les trouve davantage dans les pays plus démocratiques.

 

 https://aceproject.org/ace-en/focus/focus-on-electoral-laws-a-macroscopic-perspective/Votecountinggraph.GIF

L’influence du degré de démocratie, de l’héritage colonial et du développement économique sur les pratiques de dépouillement des votes.

 

DÉPOUILLEMENT DES VOTES

Degré de démocratie

Ancienne colonie française

Ancienne colonie britannique

Ancienne colonie espagnole

Développement économique

Le dépouillement des votes a lieu au centre de vote local

-

-

peu probable

-

-

Les votes ne sont jamais recomptés

-

-

-

-

-

Les votes sont toujours recomptés

plus probable dans des pays plus démocratiques

-

-

-

-

 

 

Éducation des électeurs

Compte tenu du récent déclin de la participation électorale observe dans la plupart des démocraties, nous sommes témoins d’un regain d’intérêt pour la question de l’éducation des électeurs. Il est possible que certains citoyens ne votent pas simplement parce qu’ils ne savent pas comment, où et quand s’inscrire et voter. Peut-être aussi que certains sont déstabilisés par la complexité apparente des institutions politiques et ne voient pas l’intérêt de voter. Ces derniers auraient besoin de programmes d’éducation civique pour en apprendre davantage sur le fonctionnement du parlement, du gouvernement et des partis.

La première question concerne l’information au sujet des conditions préalables à l’inscription et au vote, comment/quand/où les gens peuvent voter (peut-être même par la poste). Ce semblerait normal que les organismes de gestion électorale entreprennent des campagnes d’information pour améliorer les connaissances et la compréhension des citoyens en rapport au processus d’inscription et de scrutin. En effet, une majorité écrasante de ces organisations (84 %) organisent de telles campagnes. Il est intéressant de noter que c’est en Afrique, en Asie et plus généralement dans les pays plus pauvres que ces campagnes d’information sont le plus souvent organisées par les OGE. Ce n’est que dans les pays plus développés que le besoin de fournir ce type d’information est parfois ignoré, et même dans ces pays le déclin du taux de participation électorale nous rappelle qu’il ne faut pas supposer que tout le monde comprend parfaitement le processus de vote.

Une autre question à se poser est de savoir si de telles campagnes d’information devraient être menées durant les élections ou de façon continuelle. La tendance dominante est de choisir pour la première option. Seulement 28 % des organismes de gestion électorale semblent mener une campagne d’information permanente. Il est intéressant de noter que les campagnes permanentes sont plus usuelles sur le continent américain et qu’elles sont particulièrement rares au Moyen-Orient, dans le Pacifique et en Europe.

L’autre approche, bien sûr, est de s’assurer que les citoyens comprennent non seulement le mécanisme de l’inscription et du scrutin, mais plus généralement le fonctionnement des institutions politiques et la vie politique. C’est l’objectif des campagnes nationales d’éducation civique. De tels programmes semblent prédominer dans 69 % des pays. Peut-être sans surprise, c’est en Europe et dans les pays plus riches que les programmes d’éducation civique semblent être le moins populaires. Comme c’était le cas avec les programmes d’information aux électeurs, il semble que le besoin d’éduquer la population en matière de politique soit plus évident dans les régions les plus pauvres du monde. Il est aussi intéressant de noter que les programmes d’éducation civique et d’information sont ni plus ni moins populaires dans les pays plus démocratiques.

La tendance dominante est donc de mener des campagnes qui permettent aux citoyens d’avoir l’information de base sur les élections et sur le système politique.

  • C’est surtout le cas dans les pays plus pauvres où le besoin pour ce type d’information est plus évident.
  • En même temps, toutefois, ces campagnes informatives sont parfois de faible intensité, puisqu’elles sont souvent limitées à la période électorale.

Voter education graph

L’influence du degré de démocratie, de l’héritage colonial et du développement économique sur les pratiques d’éducation des électeurs.

 

ÉDUCATION DES ÉLECTEURS

Degré de démocratie

Ancienne colonie française

Ancienne colonie britannique

Ancienne colonie espagnole

Développement économique

OGE responsable des campagnes d’éducation des électeurs

-

-

-

-

peu probable dans les pays plus riches

Campagnes d’éducation des électeurs menées uniquement en période électorale

-

-

-

-

-

Campagne nationale d’éducation civique

-

-

-

-

peu probable dans les pays plus riches

 

 

 

Récapitulatif

Nous avons analysé neuf différentes composantes des lois électorales qui existent dans le monde. Le plus frappant est de constater l’incroyable variété de règles qui existent dans le monde. Il est très rare qu’une règle donnée prédomine dans une majorité de pays. Les différences surpassent clairement les similitudes.

Il existe quelques exceptions, qui sont en soi intéressantes. La tendance dominante est l’âge électoral. Le fait que l’âge électoral devrait être 18 ans fait presque l’unanimité (86 %). C’est un consensus paradoxal puisqu’il ne semble pas y avoir de raison précise qui justifierait que l’âge électoral doive être de 18 ans plutôt que 15 ou 20 ou 25 ans. La raison pour laquelle tous les pays ont choisi cette même règle tout en ayant adopté des approches différentes dans d’autres domaines demeure un mystère qui, nous l’espérons, sera résolu dans l’avenir.

Il y a d’autres exceptions. Le vote obligatoire au niveau national n’est pas fréquent. Peu de pays (17 %) imposent des conditions en matière d’éducation ou de littératie aux candidats. La grande majorité des pays permet aux candidats d’être indépendants et autorise le financement public et privé. Le dépouillement des votes est habituellement fait au centre de scrutin local et le recomptage des votes est possible sous certaines conditions.

Il reste que dans la grande majorité des cas, il n’y a pas du tout de tendance dominante. Nous avons observé la nature et l’origine de ces variations. Nous avons d’abord vérifié s’il y avait des tendances géographiques. Le verdict est assez clair. Pour la plupart des aspects analysés, les variations régionales sont assez importantes, ce qui nous mène à d’autres questions sur les raisons expliquant ces variations régionales. Nous n’avons pas réussi à répondre à cette question dans cette analyse exploratoire, mais nous espérons que des recherches futures études analyseront plus systématiquement les origines de ces variations régionales. Nous croyons que ces variations sont le reflet de l’influence des réseaux et de la culture, mais des analyses plus détaillées sont nécessaires pour vérifier cette intuition et pour déterminer l’importance relative de ces deux facteurs.

Nous avons aussi cherché à savoir si les différentes lois électorales semblaient liées au niveau de développement économique, au degré de démocratie et à l’héritage colonial. La grande majorité des cas montrent que l’héritage colonial a une influence. Nos résultats confirment ceux obtenus par Massicote, Blais et Yoshinaka (« Establishing the Rules of the Game: Election Laws in Democracies[EC1]  » 2004) dont l’étude se limitait aux démocraties électorales. Mais encore une fois, plus de travail doit être fait pour déterminer comment l’influence de la mère patrie s’opère concrètement, quelles anciennes colonies sont plus et moins enclines à suivre son exemple, et pourquoi.

Conclusion

Les données dont nous faisons mention suggèrent que les règles électorales sont rarement liées au développement économique et au degré de démocratie. Nous ne sommes pas surpris de l’absence de lien avec l’économie, qui peut être un prérequis important au processus de démocratisation, mais elle peut influencer la forme exacte de démocratie qu’un pays adopte.

L’absence générale de lien entre le degré de démocratie et la nature des règles électorales est plus surprenante. Selon nous, comprendre les raisons qui expliquent cette absence devrait être une priorité de recherche. Cela suggère une absence de consensus sur même de minimes conditions sous lesquelles les élections devraient être contestées au sein d’une démocratie. Pourquoi est-ce que presque tout le monde semble s’accorder pour dire que l’âge électoral devrait être de 18 ans, alors qu’il semble n’y avoir aucun consensus sur le fait que les élections devraient être menées par un organisme entièrement libre et indépendant ?

À propos des auteurs

André Blais est professeur titulaire au département de science politique de l’Université de Montréal. Il est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études électorales, est membre de la Société royale du Canada et est chercheur au Centre pour l’étude de la citoyenneté démocratique, au Centre interuniversitaire de recherche en économie quantitative (CIREQ) et au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations. Il a été président de l’Association canadienne de science politique.

Agnieszka Dobzynska (Ph.D., science politique) a joint le Bureau de la recherche institutionnelle de l’Université de Montréal en 2008, où elle est analyste de la recherche et de la planification. Ancienne membre post-doctorante de la Chaire de recherche du Canada en études électorales de l’Université de Montréal, elle a aussi été consultante pour Élections Canada. Ses plus récentes publications concernent des sujets tels les élections et le comportement de vote, l’opinion publique, la couverture médiatique de la politique, les systèmes électoraux et la méthodologie de recherche.

 [EC1]The link in the original text was broken. We might want to replace it and insert it here, too.